Dans son génial livre « Aux États-Unis d’Afrique » (oui, d’Afrique) publié il y a quelques années, mon ami l’écrivain djiboutien Adbourrahman Waberi imaginait une situation chaotique arrivant aux États-Unis d’Amérique. Des millions d’américains sont forcés à fuir leur pays. Plusieurs milliers arrivent par bateaux dans des pays africains et y demandent refuge. Dans ce livre-fiction, la Somalie, devenue prospère, est le pays qui a accueilli le plus de ces demandeurs d’asile. Devant cet afflux, les manifestations les plus hostiles ont lieu à Mogadiscio, aux cris de « US – Go Home! ». Bien heureusement, nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Waberi est un adepte de la fiction utopique, mais qu’est-ce qui peut nous étonner encore du pays de l’Oncle Sam dans la réalité d’aujourd’hui ? Rien. Le pays est en campagne électorale et les projections le concernant sont devenues des plus alarmistes. Tenez, cette déclaration bien réelle du premier ministre canadien Justin Trudeau : « Nous espérons certainement tous une transition en douceur ou un résultat clair de l’élection ». Il demande à son gouvernement d’être prêt car « il pourrait y avoir certaines perturbations ». Trudeau parle bien des prochaines élections aux États-Unis d’Amérique et pas dans un pays du tiers-monde. Si le premier ministre du Canada tient des propos de la sorte, c’est qu’il est réellement inquiet pour son puissant voisin.
De l’inquiétude à la pitié
Le monde entier est abasourdi par ce que vivent les États-Unis. Partout, les grandes plumes des plus prestigieux journaux, les diplomates, les centres de recherche, entre autres, ont fait état d’une inquiétude générée par les débuts du premier mandat du président Donald Trump. Aujourd’hui, de l’inquiétude beaucoup sont passés à un sentiment de pitié pour le pays. « Nous sommes désolés pour les États-Unis », titrait récemment le NewYork Times dans un dossier consacré au regard que porte le monde sur la première puissance. Le monde tremble aussi, apeuré. Le monde est en alerte. Le monde est suspendu au résultat de l’élection présidentielle du 3 novembre prochain qui revêt un caractère historique. Y-aura-t-il un arrêt de l’ère Trump et un retour à la « normalité » du visage et de l’action du pays à la bannière étoilée ? Ou, au contraire, celui-ci donnera-t-il un autre mandat à ce président unique et inique qui gouverne dans l’intérêt d’une seule frange de la société ? L’élection sera, d’abord pour les américains eux-mêmes, l’occasion de conjurer une réelle menace sur leur démocratie. Donald Trump a bousculé tous les interdits et fait fi de la séparation des pouvoirs. Il donne instruction à son ministre de la justice de poursuivre ses opposants politiques. Il appelle ses supporters à harceler les médias et à agir contre les pouvoirs locaux, comme il l’a fait contre le gouverneur de l’État du Michigan. Il sème le doute sur la bonne tenue des votes, comme pour préparer le pays à une bataille juridique, en cas de défaite. C’est dire que le prochain scrutin sera la mère de toutes les élections. Crucial.
L’Amérique sauvée par ses institutions
S’il est vrai que la menace est bien réelle sur la démocratie américaine, il serait exagéré de dire que le pays basculera, après l’élection de novembre, dans des affrontements généralisés et encore moins dans la guerre civile. Malgré toutes les projections pessimistes et quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, les États-Unis pourront compter sur la solidité de leurs institutions et la confiance que le pays place en elles. Un exemple : en dépit de l’assaut répété sur leur mode de scrutin, les américains votent actuellement en masse. Ils battent les records d’enregistrements sur les listes électorales. Ils gardent foi en leur Constitution. Le lendemain de l’élection présidentielle sera certes mouvementé. À coup sûr, les vaincus descendront dans la rue et des affrontements épars sont à craindre. Des manifestations et des contre-manifestations se succéderont. Mais, encore une fois, il est peu probable qu’un embrasement généralisé résulte d’un processus électoral qui, malgré ses imperfections, a toujours garanti une alternance pacifique aux États-Unis.
Trump, tout comme les médias jouent sur la peur. Lui, dans l’intérêt politique bien calculé de mobiliser ses électeurs en trouvant des bouc-émissaires selon un discours populiste peu original. Les médias eux, en captivant une audience dans la narration en boucle du discours sombre trumpien. Les chaînes de télé sont juste la caisse de résonance, souvent sans recul ni analyse, des insanités présidentielles. Pourtant, les journaux sérieux ne manquent pas. Mais, même confiné par l’épidémie du Coronavirus, l’américain moyen absorbe davantage ce qu’il voit à la télé ou sur les réseaux sociaux que les enquêtes fouillées du NewYork Times ou du Wall Street Journal. Par exemple, ceux qui ont été présentés dans tous les médias comme milices pro-Trump ne sont en fait que quelques centaines, au plus quelques milliers dans tout le pays. Parfois, tout un reportage est consacré à des « forces privées rétablissant l’ordre » dans telle ou telle ville, alors qu’il s’agit de quatre ou cinq hommes armés marchant dans une agglomération employant des centaines de policiers. Le fait divers est présenté comme une insurrection. Aussi, le moment venu, ces milices et ses « patrouilles privées » seront face à des gardes, polices voire une armée, toutes ces institutions qui croient en l’ordre garant de la stabilité et protecteur de chaque État fédéré et de l’interêt général.
Oui, la société américaine est une société violente avec des problèmes structurels d’injustice et d’inégalités en tous genres. Ailleurs, ces ingrédients auront certainement généré des révolutions. Mais ici, c’est un pays complexe. Tout ce qui fait les grands titres aujourd’hui, ce pays l’a déjà vécu en pire. Le racisme ? On vient de périodes esclavagiste et ségrégationniste. Pauvreté ? Les chiffres prouvent sa réduction constante. Trump poursuivant ses opposants politiques ? Il y eut le maccarthysme du début des années 1950. Président haï et réélu ? George W. Bush. Non, il n’y aura pas de guerre civile après l’élection présidentielle du 3 novembre, juste un président réélu ou un autre élu. Avec certainement des protestations violentes. Mais, ça aussi, ici on connaît !
Moktar Gaouad
Ah elle manquait l’analyse incisive et depassionnée donc passionnante ! Cela du bien.
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Une synthèse édifiante sur lâétat de lâAmériqueâ¦
Merci.
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A écouter Abdourahman sur le podcast en bilingue La Culture Oui But Why?
Listen to Abdourahman on the bilingual podcast La Culture Oui, but Why? Sur Apple podcast
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