Affaire Floyd : ordre, violence et racisme aux Etats-Unis

Sur les sites internet officiels de l’État du Minnesota, on vous invite à venir découvrir ses « lacs les plus magnifiques », ses « eaux paradisiaques  et randonnées touristiques » qui vont jusqu’à sa frontière avec le Canada. Tout pour l’hospitalité et la quiétude. Le Minnesota est fier d’arborer partout avoir été élu récemment « État le mieux géré des Etats-Unis », suivant les critères de baisse de la pauvreté, de la stabilité économique, de la qualité de vie et de la création d’emplois. Et c’est justement ce que George Floyd est venu chercher dans cet endroit du nord du pays, quand il a quitté son Texas du sud. George Floyd répétait souvent combien il a été si bien intégré à Minneapolis, la plus grande ville de l’État. Il le disait encore sur vidéo quelques heures avant d’être interpellé et violemment tué, asphyxié par la police de sa ville adoptive. George Floyd est cet homme noir dont la mort va déclencher le plus grand mouvement de protestations aux Etats-Unis depuis l’assassinat de Martin Luther King en 1968. Plus que par sa campagne touristique, le Minnesota est dorénavant connu dans le monde entier pour cet événement tragique survenu le 25 mai 2020.

Rapport à l’Histoire

Dans l’imaginaire collectif, concernant le racisme aux États-Unis, on regarde souvent vers les États du Sud. On n’est point surpris d’y voir se répéter des rappels affreux de l’histoire ségrégationniste. En février dernier, l’assassinat par deux hommes blancs d’un autre homme de couleur, Ahmaud Arbery, en Georgie, a rappelé combien le dédain envers la vie des Noirs est encore bien présent. Selon les enquêteurs, l’homme qui a abattu Ahmaud Arbery avait signé son crime, debout sur la dépouille de sa victime, par deux mots : « sale nègre ». Pourtant, c’est l’incident tragique survenu dans le nord et le Minnesota qui va déclencher les manifestations historiques de 2020 et le débat autour du triptyque « ordre, violence et droits civiques » aux Etats-Unis.

Deux semaines après la mort de George Floyd, les Etats-Unis sont toujours le théâtre de manifestations historiques qui dénoncent la brutalité de la police et le racisme qui la gangrène.  Depuis, la discussion a tourné autour des lacunes dans l’égalité des droits pour tous les citoyens américains et la question du racisme institutionnel, pas uniquement dans la police mais partout dans la société, envers les populations minoritaires, noire en particulier. 

Les Etats-Unis ont une difficulté pérenne à surpasser leurs inégalités. Inégalités devant l’éducation, dans la santé, face à la loi, dans les droits civiques… etc. Longtemps, les politiques se sont entendues d’abord sur la capacité de chaque citoyen américain à se tirer de lui-même de ses difficultés et à bâtir son destin. On lui a fait croire qu’il pourrait tout réaliser, tout réussir, accéder à tout, tant que le gouvernement lui garantit l’intangibilité de sa liberté individuelle. Le point culminant de cette assurance étant le droit pour chacun de porter une arme pour se protéger de l’État fédéral lui-même. Abreuvés de ce discours sur la liberté, les américains en ont presque oublié celui sur l’inégalité. Celle-ci frappe toutes les composantes de la société, qu’elle soit blanche, hispanique ou noire. Comment chaque personne pourrait-elle réaliser son « rêve américain » d’accéder à tous les droits et surpasser tant d’obstacles quand les inégalités sont si dévastatrices ? Pour la population noire, se rajoutent en plus la discrimination et la violence policière. 

Aux Etats-Unis, les Noirs représentent aujourd’hui environ 13% de la population américaine, soit près de 40 millions de personnes. De l’esclavage à la discrimination officielle, ce sont des siècles qui ont cimenté l’exploitation puis le racisme envers eux. Malgré la promulgation et le vote de lois anti-discriminatoires, les survivances de pratiques racistes subsistent de nos jours. Le point culminant de la lutte contre le racisme était le « Civil Rights Act » signé en 1964 qui déclarait « illégale la discrimination reposant sur la race (?), la couleur, la religion ». En dépit de l’existence de ces garde-fous, le racisme institutionnalisé continue. La violence policière n’est en fait que la face visible d’un large iceberg qui couvre, entre autres, l’exclusion de l’accès à la propriété, la surpopulation carcérale, la difficulté de s’inscrire sur les listes électorales et, aujourd’hui, dans cette crise du Coronavirus, occuper les métiers les plus exposés. 

Abus et sentiment d’impunité d’une police militarisée

La volonté d’imposer l’ordre, aussi bien par les autorités de chaque État que par le gouvernement fédéral, a donné lieu à une surenchère dans les équipements de la police. Celle-ci a été militarisée afin d’apeurer une population à qui on dit que sa sécurité est garante de sa liberté. Chaque État, chaque département (County), chaque ville, chaque village ont recruté un nombre incalculable d’officiers de police, souvent peu formés et ultra-équipés. Ultra-autoritaire, la police fait face aussi à une circulation d’armes dans la société et à l’histoire du crime organisé. Mais ce qui lui est reproché aujourd’hui, c’est le harcèlement au quotidien, les à-priori et l’abus de pouvoir vis-à-vis de la population noire. À crime ou délit égal, il y a plus de chance d’être interpellé et violenté si vous êtes de couleur. Et une fois ces exactions dénoncées, elles ne sont pas toujours punies. Plusieurs États et départements policiers ont rendu impossible de prouver et de punir les abus. La mort de Floyd était en fait la dernière d’une longue litanie, dont la mise en lumière a été rendue possible grâce aux réseaux sociaux. Mais ces crimes et abus de la part de la police ont toujours existé, « ils sont juste devenus filmés », pour emprunter des termes de l’acteur Will Smith. 

Autre problème de la police américaine et dénoncé aujourd’hui : la formation. Les techniques de maintien de l’ordre de la police américaine sont très différentes de ce que l’on voit en Europe. Selon le quotidien The Washington Post, la police américaine agit en « style militaire » et « les tactiques employées contre les manifestants… sont soit bannies en Europe ou extrêmement encadrées ». Le journal continue la comparaison ainsi : aux Etats-Unis, la police « intensifie l’usage de la force » pour maîtriser les manifestations alors qu’en Europe « elle utiliserait le temps et l’espace pour baisser la tension avec les manifestants », selon Paul Hirschfield, professeur associé de sociologie à l’Université Rutgers de l’État du New Jersey. Ceci explique l’étalage de force que le monde entier a vu en direct à la télévision dans les rues américaines lors des manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd. Le quotidien The NewYork Times le résumait ainsi : « Dénoncée pour sa violence, la police répond avec plus de violence ». 

Arrive Donald Trump

Les manifestations d’aujourd’hui resteront sans doute comme la révélation au monde entier de la brutalité de la police américaine. Jusqu’à présent, on la voyait sur les écrans, pourchassant des mauvaises gens. Dans la vraie vie, il y a eu tant d’innocents qu’elle a violentés, torturés, voire tués. Et souvent, ce sont les mêmes. Déjà affaiblis par le système d’inégalité, ils sont aussi persécutés par la police. Et ce sont souvent des Noirs.

Personne ne peut dire que Donald Trump est responsable de la mort de George Floyd. La police qui l’a tué est une police locale, de la ville du Minneapolis. Elle répond à des responsables locaux qui ont failli dans sa gestion. Les premières manifestations avaient été dirigées contre la police, sans l’étendre au gouvernement fédéral. Très maladroitement et comptant profiter du « laxisme » de certains gouverneurs et maires démocrates, le républicain Trump a voulu non pas proposer des solutions mais « dominer les manifestants », comme il l’a dit. En fait, Trump avait adopté la même stratégie usitée par la police et décrite plus haut par le Washington Post qui est de « toujours répondre par la force ». Ainsi, il s’est invité dans le jeu et pris parti. C’était un calcul politique à l’approche de l’élection présidentielle du mois de novembre prochain. Il a sous-estimé la profondeur du mouvement et le « point tournant », selon plusieurs observateurs, que constituerait le mouvement anti-police d’aujourd’hui. Si l’on est sûr que ces manifestations sont historiques, on devrait en revanche attendre les premières réformes annoncées afin de mieux encadrer les agissements de la police. Il y eut tant de précédents qui ont été suivis de peu d’effets. Un exemple : l’affaire Rodney King avait embrasé l’Amérique en 1992, quand des policiers avaient été acquittés après avoir battu à mort cet homme noir à Los Angeles. Des dizaines de personnes avaient été tuées dans les protestations qui s’ensuivirent. Et à l’époque déjà, on disait : plus rien ne sera comme avant ! Pour les changements à venir, attendons de voir. Wait and see!

Moktar Gaouad

7 commentaires sur “Affaire Floyd : ordre, violence et racisme aux Etats-Unis

  1. Comment peut on être libre dans un pays où la force repond à l’indignation?
    Ma couleur fait elle de moi une personne différente ?
    Quels sont les biais de la démocratie qui amènent Trump, Bolsonaro, et plus tôt Berlusconi ou même Hitler ou pouvoir?
    Tu nous fais nous poser beaucoup de questions Moktar, merci pour cet appel à la réflexion.

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  2. Comment peut on être libre dans un pays où la force repond à l’indignation?
    Ma couleur fait elle de moi une personne différente ?
    Quels sont les biais de la démocratie qui amènent Trump, Bolsonaro, et plus tôt Berlusconi ou même Hitler au pouvoir?
    Tu nous fais nous poser beaucoup de questions Moktar, merci pour cet appel à la réflexion.

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  3. Merci Moktar pour cette excellente analyse d’une situation éminemment complexe. La formation est en effet essentielle pour que les policiers comprennent comment se comporter mais ne crois tu pas que l’éducation dès la petite enfance est le meilleur moyen d’éviter ces horreurs ? Si tes parents t’ont dit depuis toujours que les Noirs sont tous des violeurs et des voleurs ou que les femmes sont inférieures aux hommes, la formation suffira-t-elle ? Comment faire changer profondément les croyances chez certains ? Trump n’est certes pas le seul responsable mais son discours et ses postures (sans parler de ses tweets!) n’ont pas dit à ce policier quoi faire mais lui ont peut être donné l’impression qu’il était « autorisé » à le faire et c’est déjà une grande étape.

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    1. Merci Olivier de ta souscription et de ton commentaire. Tu as raison de pointer l’éducation et ce que transmettent les parents à leurs enfants sur la question. Il y a énormément de témoignages ici de jeunes blancs qui pointent du doigt la stigmatisation venant de leurs propres parents. Cela indique un début de rupture, au moins sur ce point, entre l’actuelle génération et la précédente. On voit cette dénonciation sur les réseaux sociaux. Et les jeunes manifestent en masse.

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  4. Bonsoir,
    Je suis tombé par hasard sur votre site via linkedin et me suis de suite abonné.
    Questions: j’ai lu que la police de Minneapolis allait être dissoute, pensez-vous que cela est souhaitable ? Est ce que cela ne risque pas justement de permettre aux « brebis galeuses » de pouvoir agir sans le moindre contrôle (sous couvert du 2eme amendement) ?
    Merci et au plaisir de lire vos prochains articles
    Johary

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    1. Merci Johary de votre abonnement et commentaire. Si la police de Minneapolis est effectivement l’objet de vives critiques et d’enquêtes internes, il est invraisemblable qu’elle soit complètement démantelée ou dissoute. En revanche, une restructuration profonde et de nouveaux recrutements arriveront. Le second amendement permet à chaque citoyen américain de porter une arme pour se défendre, avec ou sans la police en charge.
      Faites circuler le lien svp et j’ai créé un compte Twitter pour le site : @surlamerique

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